28/02/2014
"Une génération qui ne veut rien renverser" ?
L'enquête (Peugny - van De Velde) sur les 18-34 ans :
Dans Le Monde du 26 février, les sociologues Cécile van De Velde et Camille Peugny présentent leur enquête sur l'état d'esprit de 210 000 jeunes Français en 2014. « Frustrée, la jeunesse française rêve d'en découdre », titre le journal... Comme souvent, le titre ne correspond pas au contenu de l'article. L'enquête montre les 18-34 ans comme une génération « désillusionnée », qui ne rêve pas « d'en découdre » (avec qui ?) parce que ces jeunes se disent « sceptiques » : « Iis pensent que les politiques, s'ils en avaient le courage, pourraient avoir une influence sur leur vie. Mais qu'ils ont laissé la finance prendre le pouvoir. Il y a du mépris dans le regard des jeunes. Ils n'y croient plus. »
Plus profondément, disent les deux sociologues, c'est une génération « qui ne veut rien renverser » : « elle n'est pas en conflit de valeurs, mais elle trouve toutes les portes fermées, et elle envoie un avertissement. »
Quel « avertissement » ? 61 % des jeunes interrogés se disent « prêts à participer à une révolte », mais le reste de leurs réponses semble démentir cette velléité.
Les jeunes de 1968 avaient une cible : ils étaient révoltés par le vide mental et moral de leurs pères (selon le pressentiment du seul Pierre Boutang dans un article de La Nation française en 1967). Et ils avaient un drapeau : ils invoquaient la mythologie marxiste, qui faisait encore semblant de proposer une autre organisation du monde.
Les jeunes de 2014 (au moins selon cette enquête) ne mentionnent ni cible ni drapeau. Ils ont trop besoin de leur famille pour la vouer au bûcher. Et ils n'invoquent aucune mythologie – sinon la mythologie de la société d'abondance consumériste : une abondance désormais en berne, mais qu'ils invoquent quand même parce que c'est l'unique horizon... La seule « révolte » que l'enquête des deux sociologues ait trouvée chez ces 210 000 jeunes, est contre l'assèchement de la rivière aux merveilles : le déclin d'une prospérité économique qui se promettait toujours croissante (comme si la croissance illimitée jusqu'à l'infini était une promesse tenable)... Le déclin d'un monde économique qui promettait la vie toujours meilleure, ce qui sous-entendait l'emploi pour tous – alors que l'emploi devient rare sous nos latitudes depuis que les managers de ce monde ont la liberté de préférer la main d'oeuvre esclave.
Ce monde-là repose sur une arnaque : la promesse de prospérité universelle par la concurrence globale dérégulée. La lutte de tous contre tous. Ce monde est donc inhabitable... Il faut le changer : c'est ce que le pape François, comme avant lui Benoit XVI et Jean-Paul II, s'évertuent à faire comprendre ! Voilà l'ouverture qu'il faut proposer aux jeunes de 2014, et c'est l'une des tâches urgentes auxquelles nous, catholiques, nous sommes appelés. Nous ne sommes pas là pour gardienner les « valeurs de la France bien élevée » : mais pour faire partager à tous les raisons de l'espérance qui est en nous, espérance que nous recevons chaque matin par grâce de conversion ; une espérance à incarner, qui ouvre sur le bonheur éternel et donc sur la justice sociale à construire ici-bas : songez au personnage du curé Barry, dans Sur les quais d'Elia Kazan.
Karl Malden (Father Barry) et Marlon Brando, dans On the Waterfront.
17:16 Publié dans Idées, La crise, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jeunes
Commentaires
NE PAS SURESTIMER
> Tout ceci entraîne peut-être que les jeunes d'aujourd'hui seraient "assez" réceptifs au discours de la religion, si on savait seulement leur en montrer l'inépuisable richesse. Souvent, c'est là où le bât blesse - notamment lorsqu'on aborde, en surestimant trop la question, le chapitre de la vie sexuelle. De manière générale : difficile parole et manque de psychologie.
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Écrit par : jem / | 28/02/2014
PAS FACILE
> Pour renchérir sur le commentaire de jem (et y répondre) : la parole est rendue d'autant plus difficile qu'elle ne l'est pas seulement envers les "jeunes". Il n'est pas facile en effet (mais que cela ne soit pas une raison pour désespérer) de dire qu'il existe des richesses infiniment supérieures à la satisfaction - si possible immédiate - de désirs de toutes sortes à des gens qui y ont été habitués par le discours ambiant. A ce titre, le chapitre de la vie sexuelle n'en est qu'un parmi d'autres (consommation, possession d'équipements "dernier cri", et j'en oublie certainement).
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Écrit par : Sven Laval / | 28/02/2014
À NOTRE NIVEAU
> Si l'on parvient à faire de l'Eglise l'adversaire public, affiché, reconnu mondialement du libéralisme économique et moral (ce qui veut dire aujourd'hui axer sur l'économique vu que c'est le domaine où le message de l'Eglise n'est pas connu), alors effectivement beaucoup de soi-disant ennemis de l'Eglise seront déconcertés, et d'immenses possibilités d'évangélisation s'ouvriront pour les jeunes.
Mais ça ne marchera que si en débarquant dans les églises, ils rencontrent de belles liturgies, qui respirent le sacré et le surnaturel, et des communautés chrétiennes profondément fraternelles.
A nous de prier et d'agir à notre niveau pour faire venir ce Royaume de Dieu !
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Écrit par : Gilles Texier / | 01/03/2014
à jem
> vous avez raison: ils ont une soif immense. Mais pour cela c'est à nous de les rejoindre, et d'abord en quittant nos richesses, qu'elles soient matérielles, culturelles, intellectuelles,...tout ce qui apparait comme séparant, écrasant par le poids d'une supériorité réelle ou imaginaire les renvoie à leur solitude douloureuse. Je crois beaucoup dans le témoignage sans fard de qui nous sommes, avec nos failles et nos efforts persévérants, et le partage de ce qui nous touche, nous remue le coeur et les entrailles: là nous les rejoignons. Pas de discours théorique, cela les barbe et surtout ressemble trop à de l'endoctrinement dont ils se méfient à juste titre. Mais ce qui, de l'Evangile, d'un penseur, d'un poète, d'un film ou d'un paysage rejoint ma vie, le leur faire partager: et là nous nous retrouvons.
Ce n'est pas un hasard s'ils aiment tant les citations qu'ils vont chercher sur leurs portables, pour les mettre sur leurs murs facebook ou dans leurs dissertations: ils sont en quête de paroles de vie!
Et quand à leur tour ils s'autorisent à se montrer tels qu'ils sont, à dire leurs peurs, leurs révoltes et leurs espérances, quel trésor bouleversant, quelle marque de confiance, et souvent quelles souffrances déjà que leur courte existence! Notre jeunesse est terre de mission.
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Écrit par : Anne Josnin / | 01/03/2014
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